Le vrai pouvoir du Quitus
- 101 MBZ
- 13 févr. 2019
- 7 min de lecture

Ce vote a moins d’importance qu’on ne lui en prête. Il permet toutefois aux copropriétaires de rappeler leur syndic à l’ordre.
À chaque assemblée générale (AG), c’est le même débat. Faut-il donner quitus au syndic ou s’en abstenir ? « J’essaie de convaincre les copropriétaires de ne pas le voter. Mais j’ai peu de poids dans l’immeuble, et il est donné à chaque fois sur insistance du syndic », témoigne Bruno de Scorraille, copropriétaire dans une grosse résidence parisienne. Ce vote, visant à approuver la gestion du syndic, est devenu au fil des ans une question polémique. « Le syndicat n’a rien à gagner à avaliser cette résolution. Il peut même se voir privé d’un moyen d’action s’il voulait engager la responsabilité du syndic », fait valoir Christophe Grand, juriste à l’Association des responsables de copropriété (ARC). Celle-ci a été la première a s’emparer du sujet, il y a une dizaine d’années, en invitant les copropriétés à refuser systématiquement de voter cette résolution, quand bien même les comptes seraient approuvés et le mandat du syndic renouvelé. Cette position, bien que largement contestée, a fait école. « Il y a 15 ans, les gestionnaires demandaient systématiquement quitus pour leur gestion. De guerre lasse, beaucoup évitent aujourd’hui de mettre ce point à l’ordre du jour, pour éviter des débats sans fin », confirme Rachid Laaraj, fondateur du courtier en syndic Syneval. C’est vrai dans les grands groupes comme dans les petites structures. « À titre personnel, je ne le demande plus depuis des années. Mais dans le réseau, chacun agit en son âme et conscience », abonde Aurélien Renard, directeur régional Lille Métropole à Immo de France.
Pas de vertus magiques
En donnant son quitus au syndic, l’AG atteste que celui-ci a correctement et régulièrement accompli sa mission. Le syndicat le décharge ainsi de sa responsabilité pour les actions dont les copropriétaires ont eu connaissance et ont pu mesurer la portée. C’est cet effet exonératoire qui joue le rôle d’un épouvantail. Or, le quitus n’est dangereux que s’il couvre, en connaissance de cause, un acte fautif du syndic. « Beaucoup de copropriétés refusent de le voter, car elles ont l’impression qu’elles seraient dépourvues de moyens d’action, si une faute se révélait des années après. C’est largement faux. Le quitus doit être donné en connaissance de cause. Dans le cas contraire, il est sans effet. La jurisprudence est constante sur ce point », fait valoir Me Agnès Lebatteux, avocate associée au cabinet Zurfluh, Lebatteux, Sizaire. Le fait que le syndic ait obtenu l’ensemble de ses quitus dans son portefeuille d’immeubles n’a d’ailleurs aucun impact sur le calcul de sa prime d’assurance en responsabilité civile, contrairement à une idée reçue. « Cet élément n’est absolument pas pris en compte. L’assureur va délivrer une attestation au vu de l’activité du syndic, pas à la lecture des procès-verbaux d’AG. Ce serait même impossible, sachant que l’on compte une centaine d’immeubles par assuré », explique Ivan Rambaud, du cabinet de courtage Rambaud Labrosse, spécialiste en assurance immobilier.
À savoir
Donner quitus consiste à approuver la bonne exécution des missions confiées à un mandataire. Cette notion, importée du droit privé, est, malgré l’usage, absente de la loi de 1965.
De bonnes et de mauvaises raisons
Il existe bien sûr de bonnes raisons pour ne pas donner quitus à son syndic. C’est le cas lorsque des actions engagées paraissent litigieuses, ou si l’on n’obtient pas de réponse sur un sujet précis. L’AG sera également fondée à ne pas donner son quitus, par prudence, si des actes de gestion font débat ou peuvent entraîner des conséquences dommageables. Ce qui est parfois le cas concernant l’arrêt ou la poursuite d’une procédure, une réception de travaux problématique… En revanche, le syndicat n’aura pas la faculté de se retourner contre son syndic s’il a approuvé un acte de gestion en toute connaissance de cause. Dans un arrêt du 27 septembre 2006, les juges ont ainsi rejeté la demande de remboursement d’un syndicat pour les condamnations mises à sa charge au titre de la rupture de plusieurs contrats de travail opérée, à l’époque, par le syndic et validée en AG. La Cour de cassation ayant pris soin de relever que « l’assemblée avait donné son quitus » (cass. soc. du 27.9.06, n° 05- 41.024).« Les cas où le quitus a déchargé le syndic de sa responsabilité sont ceux dans lesquels l’approbation avait été donnée par le syndicat en toute connaissance de cause », confirme Me Agnès Lebatteux.Il va de soi que dans une telle situation - ici, le licenciement de plusieurs salariés, par ailleurs souhaité par le syndicat -, mieux vaut ne pas voter un quitus pour se ménager une possibilité d’action. Précision importante apportée par la jurisprudence, c’est au syndic d’apporter la preuve qu’il a informé les copropriétaires.
La limite de l’exercice ? Le quitus ne vaut qu’entre un mandataire (le syndic) et son mandant (le syndicat). Il n’empêchera donc pas un copropriétaire lésé à titre personnel par une action du syndic d’engager sa responsabilité.
Réponse d'expert : David Rodrigues, Responsable juridique à l’association CLCV.
Á donner au cas par cas
Si vous êtes satisfait de votre syndic dans le cadre d’une relation de confiance, il n’y a aucune raison de ne pas donner le quitus. Ce satisfecit n’empêchera pas, de toute façon, d’engager sa responsabilité pour des actes de gestion dont le syndicat n’a pas eu connaissance ou n’a pas mesuré la portée. Il faudra évidemment s’abstenir de le donner en cas de manque de rigueur ou d’incompétence manifeste.
Vers un quitus au conseil syndical ?
La loi logement « Élan », votée l’année dernière, n’envisage pas l’insertion du quitus dans la loi de 1965. En revanche, le texte prévoit de modifier le code de la copropriété par voie d’ordonnances. Celles-ci devraient s’inspirer des travaux du Groupe de recherche sur la copropriété (Greco). Si ce collectif, composé d’avocats, d’experts, de géomètres, de notaires et d’universitaires, ne prévoit pas non plus l’officialisation du quitus, il envisage la création, pour les grandes copropriétés, d’un conseil d’administration, sorte de conseil syndical renforcé, qui pourrait décider de certains travaux sans en référer à l’Assemblée générale. « Si une telle entité venait à voir le jour, on pourrait très bien imaginer que ce conseil ait à demander quitus aux copropriétaires pour sa gestion », prédit Xavier Dekock, gérant de la société « Règles de copropriété », spécialisée dans l’accompagnement des copropriétés dégradées. La question devrait alors se reposer. Donner quitus ou ne pas le donner ?
L’enjeu réel ? les comptes…
C’est à la majorité simple de l’article 24 (majorité des voix des copropriétaires présents et réprésentés) qu’est donné le quitus.
Malgré la défiance des copropriétaires, beaucoup de syndics restent attachés au quitus. « Ce vote permet de marquer une insatisfaction. Si on l’enlève, il ne restera que l’approbation des comptes ou le renouvellement du mandat pour exprimer son mécontentement. Ce qui est autrement plus dommageable », plaide Jean-Marc Torrollion, président de la Fnaim. L’approbation des comptes est un enjeu majeur, bien qu’elle ne soit pas non plus un blanc-seing donné à la gestion financière du syndic. C’est l’arrêté des comptes approuvé en AG qui va servir de base juridique pour fixer le budget définitif et répartir le solde entre débiteurs et créditeurs. En l’absence d’approbation, aucune action en régularisation des charges n’est possible à l’encontre des débiteurs. Ces derniers ne seront redevables que des appels de fonds du budget prévisionnel de l’année écoulée. Ce qui peut vite être catastrophique quand le budget de l’année a été sous-évalué. Par ailleurs, ne pas approuver les comptes - hors erreurs - imposerait une coûteuse reprise comptable en cas de changement de syndic. Quitus et approbation des comptes sont d’ailleurs liés, bien qu’ils doivent être votés séparément : faute d’approbation des comptes, ou en l’absence des documents comptables impérativement joints à la convocation à l’AG, le quitus est entaché de nullité.
Des conditions strictes
Absent du code de la copropriété, le quitus fait en revanche l’objet d’une jurisprudence fournie. Tour d’horizon des conditions nécessaires pour qu’un quitus donné en assemblée générale décharge réellement le syndic des conséquences de ses actes.
EXPLICITE
Le quitus n’a d’effet libératoire que sur les actes dont les copropriétaires ont connaissance et dont ils ont pu mesurer la portée. Il est dépourvu de toute valeur pour les opérations que le syndic aurait dissimulées au syndicat (CA de Paris, 2 e ch, du 10.3.16, n° 13/00582). De plus, la jurisprudence considère que l’information reçue doit être suffisamment explicite. Par exemple, la multiplication de factures pour des réparations ponctuelles, dans les comptes, ne peut suffire à démontrer la connaissance qu’aurait « nécessairement » eue le syndicat de l’impératif de travaux plus importants (cass. civ. 3 edu 21.12.17, n° 16-25.753). Attention, le quitus ne peut porter que sur des faits correspondant à la période pour laquelle il a été donné (CA de Paris, 23 e ch., du 23.10.03, n° 2003/05407).
COLLECTIF
Le quitus voté en AG concerne les rapports entre le syndicat et son mandataire, le syndic. Il n’affecte en rien les situations individuelles. Chaque copropriétaire conserve la possibilité d’engager, en cas de faute, la responsabilité délictuelle du syndic qui lui a causé un préjudice personnel (art. 1382 et 1383 du code civil). Dans l’absolu, peu importe que celui-ci ait voté le quitus, mais, les juges pourraient lui reprocher un défaut de cohérence. Cette action en responsabilité délictuelle ne peut être engagée quand le préjudice est subi par tous les copropriétaires (cass. civ. 3 e du 9.6.16, n° 15-19.470).
DISTINCT
Le quitus et l’approbation des comptes doivent être votés distinctement afin que l’approbation des comptes n’emporte pas le quitus (Rép. min. n° 100358, JOAN du 3.10.06) : en dehors de la gestion financière, l’AG peut avoir des griefs à formuler concernant la gestion administrative du syndic. Pour autant, l’information comptable est nécessaire à la validité du quitus : la nullité de l’approbation des comptes pour défaut de documents comptables obligatoires entraîne la nullité du quitus (CA de Paris, 23 e ch., du 29.3.01, n° 2000/00672).
PRÉALABLE
Un compte rendu de sa gestion par le syndic est indispensable à la pleine information des copropriétaires. À défaut, la résolution donnant quitus n’est qu’une « simple clause de style, dépourvue de toute portée juridique » (CA d’Orléans du 26.1.09, n° 07/03315). Un rapport écrit n’est pas forcément indispensable. Cette formalité peut être satisfaite par la simple présentation orale par le syndic, préalablement au vote, d’un rapport sur son activité de l’année écoulée.
Comments