En copropriété, vous n'êtes plus responsable des canalisations de gaz
- 101michelbizot
- 8 mai 2024
- 11 min de lecture
Les copropriétaires, voire leurs locataires, sont aujourd'hui plus sensibilisés que par le passé à l'état des canalisations de gaz de leurs immeubles.
Le transfert de propriété à la commune des canalisations jusqu'au compteur allège la responsabilité des copropriétaires. Mais, si GRDF, gestionnaire du réseau, assure la sécurité de ces ouvrages, syndic et syndicat doivent rester vigilants.
Une découverte qui aura peut-être évité le pire. C'est à l'occasion d'un passage dans la cave de son immeuble – une copropriété parisienne des années 1930 – qu'Évelyne Lefèbre aperçoit, le 13 avril 2023, à l'angle d'un mur du sous-sol, une « canalisation de gaz déformée par la corrosion ». La quinquagénaire, membre du conseil syndical, alerte aussitôt le syndic. Par chance, c'est un jour ouvrable au cabinet. Ce dernier dépêche, dans la foulée, Gaz Réseau Distribution France (GRDF), le gestionnaire du réseau. Un prestataire arrive dans les 2 heures et procède au remplacement de la partie de canalisation endommagée.
Un simple coup de chance ? Les copropriétaires, voire leurs locataires, sont aujourd'hui plus sensibilisés que par le passé à l'état des canalisations de gaz de leurs immeubles. « La médiatisation des affaires d'explosion due au gaz, dont celle, emblématique, de l'immeuble de la rue de Trévise dans le IXe arrondissement de Paris, en janvier 2019, y a largement contribué. Leur préoccupation est d'autant plus compréhensible qu'à la différence de l'eau ou même de l'électricité, il y a un véritable enjeu de sécurité » , estime David Rodrigues, responsable juridique à l'association Consommation, logement et cadre de vie (CLCV).
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Certains syndicats avaient anticipé
La bonne nouvelle pour la copropriété d'Évelyne, c'est que la réparation de la canalisation n'aura rien coûté au syndicat. « Nous venions de voter 2 mois plus tôt, lors de notre assemblée générale annuelle, le transfert à GRDF, pour le compte de la commune, de nos canalisations, jusqu'alors propriété du syndicat », se souvient notre témoin. Un transfert portant sur la partie des canalisations de gaz situées entre l'organe de coupure principal, en pied d'immeuble et les compteurs individuels. Ce transfert a été rendu possible par la loi dite 3DS (loi n° 2022-217 du 21.2.22), à l'instar de ce qui avait déjà été opéré pour les colonnes électriques. Cette loi permettait en effet aux syndicats – à l'instar de l'immeuble d'Évelyne – d'autoriser le syndic, par un vote à la majorité de l'article 24, à demander au réseau public de distribution exploité par GRDF de prendre en charge l'intégralité des canalisations de gaz situées en amont du compteur du logement, « bouts parisiens » compris.
Un transfert qui s'est, ipso facto, opéré le 1er août 2023 pour toutes les copropriétés qui n'avaient pas devancé l'appel (art. L. 432-17 du code de l'énergie). « Dans les projets de résolution que nous avons inscrits à l'ordre du jour des assemblées générales de 2023, les copropriétaires étaient appelés à se prononcer sur la question de savoir s'ils entendaient s'opposer à cette cession car, à défaut, elle est automatique », se souvient Olivier Safar, syndic parisien et président de l'Unis Ile-de-France, le syndicat des professionnels de l'immobilier.
Un transfert passé inaperçu
Dans les faits, peu de copropriétés ont réellement pris les devants, moins de 10 % d'entre elles, à en croire Francis Bourriaud, président de Syndicalur et ADB conseils, expert en copropriété. Rien à voir avec ce qui s'est produit pour les colonnes montantes électriques, nombre de syndics ayant alors eu le réflexe d'inscrire à l'ordre du jour la question du transfert. La raison ? Une méconnaissance du sujet du gaz dans certains cabinets, sans compter la communication de GRDF faite aux syndics d'attendre le basculement automatique, en théorie pour des raisons pratiques de calendrier.
Quant aux copropriétés ayant choisi de s'opposer au transfert, revendiquant ainsi la propriété de leurs colonnes, il n'y en a pas eu – seuls quelques copropriétaires isolés qui n'avaient pas saisi les enjeux et ont voté contre par correspondance. « Cela aurait été une hérésie. La loi les autorise, certes, à changer d'avis mais, dans ce cas, nul doute que GRDF n'aurait pas manqué de leur facturer les frais engendrés par les travaux de rénovation de leurs colonnes, avant de les reprendre », estime Francis Bourriaud.
Automatique et sans contrepartie financière
Aujourd'hui, alors que le transfert a donc eu lieu, il est superflu d'inscrire un projet de résolution en ce sens à l'AG de 2024, même si certains gestionnaires d'immeubles se réveillent pour le faire ! L'intérêt majeur de la cession de propriété est qu'elle est réalisée sans contrepartie et sans frais pour le syndicat (art. L. 432-21 al. 1 du code de l'énergie). Les coûts d'entretien et de travaux sur ces colonnes de gaz sont intégralement à la charge de GRDF. « Les canalisations n'appartenant plus à la copropriété, les contrats d'entretien signés par les syndics alors que GRDF était amené à facturer des frais de maintenance et de réparation au syndicat, sont devenus caducs », confirme Alexis Motte, chef de marché copropriété chez GRDF. À noter, le transfert ne concerne que les 8 % de canalisations (62 000 sur 800 000, environ) qui appartenaient encore à un syndicat, soit une très faible minorité.
La balle est donc désormais en totalité dans le camp du gestionnaire du réseau – GRDF sur 95 % du territoire et quelques entreprises locales de distribution sur les 5 % restants (c'est le cas à Bordeaux, Grenoble et Strasbourg). Il est chargé de l'entretien de la portion de canalisation située avant le compteur du logement. La partie située après celui-ci demeure sous la responsabilité du propriétaire du logement. « Le transfert au réseau met un coup d'arrêt aux débats juridiques sur le fait de savoir qui, de la commune ou du syndicat, était propriétaire, donc responsable. Il fallait alors tenir compte des stipulations, pas toujours claires, du règlement de copropriété et de configurations complexes dans certains immeubles, des années 1970 en particulier, avec des canalisations horizontales partant du sous-sol, non enterrées », se réjouit Benjamin Naudin, avocat spécialiste en immobilier du cabinet marseillais éponyme.
Autre avantage pour les copropriétaires, il est mis fin au particularisme des « bouts parisiens ». Concrètement, il s'agit de la portion de canalisation (sa longueur peut varier de quelques centimètres à plusieurs mètres, selon les configurations) qui part du robinet de coupure individuel sur le palier et va jusqu'au compteur, situé lui aussi sur le palier ou dans le logement. « La loi 3DS clarifie les responsabilités. Jusque-là, le propriétaire ignorait le plus souvent que l'entretien de ce bout de canalisation pouvait être à sa charge. Quant à GRDF, il bottait en touche et n'intervenait pas au-delà de l'entrée du logement », pointe Eric Audineau, un avocat parisien spécialiste en immobilier. Les immeubles (pas seulement parisiens, il s'en trouve aussi à Toulouse) dont l'installation de gaz date d'avant le 1er janvier 1994 sont concernés par ce type d'installation. Leurs caractéristiques ? Ils sont dotés d'un dispositif de sécurité à chaque étage, sous forme d'une vanne de coupure (au lieu d'un système unique en bas de la colonne, dans la cave ou au rez-de-chaussée). 300 000 de ces « bouts » seraient ainsi encore actifs à Paris, contre 300 à Toulouse répartis sur 44 000 immeubles, selon les estimations de GRDF.
La responsabilité des propriétaires débute uniquement après le compteur
Le gaz est acheminé depuis le réseau de distribution jusqu'aux logements, via la conduite d'immeuble (CI), qui arrive au pied du bâtiment, elle-même reliée à la conduite montante (CM), qui distribue le gaz dans les étages. Depuis le transfert des conduites de gaz à la commune, le gestionnaire est responsable des canalisations présentes en amont des compteurs individuels, qu'ils soient situés dans les parties privatives ou communes. Une simplification bienvenue pour les propriétaires, qui, ainsi, ne sont plus responsables que des installations (canalisation comprise) situées après le compteur. Source : GRDF
Fin de la cession des bouts parisiens en 2026
Comme pour les colonnes proprement dites, le transfert, sans frais et sans contrepartie, de ces portions de canalisations est acquis depuis le 1er août 2023. Du moins pour celles situées dans les parties communes. Pour la partie du bout parisien se trouvant à l'intérieur du logement, la cession doit s'achever d'ici au 1er août 2026 (art. L. 432-19 al. 3 du code de l'énergie). Celle-ci ne peut en effet être effective qu'après une visite de GRDF, destinée à s'assurer du bon état de fonctionnement de la canalisation (art. L. 432-18 du code de l'énergie). Cette visite n'est pas nécessaire si le gestionnaire du réseau s'était déjà engagé par contrat à en assurer la maintenance et le renouvellement, ce qui est rare.
Là encore, le syndicat avait la faculté d'anticiper l'accord de transfert du bout parisien. De même que tout propriétaire était libre d'en revendiquer la propriété. À condition que le syndic l'ait dûment informé des conséquences d'un refus de transfert. Ce qui n'a rien d'évident lorsque le règlement de copropriété qualifie le bout parisien de partie privative. « Le syndic n'étant responsable que de ce qui a trait aux parties communes, il ne peut intervenir auprès des propriétaires concernés. Mais il peut diffuser une note d'information en assemblée générale à leur intention », souligne Benjamin Naudin. « Nous avons recensé un seul cas où un particulier, parfaitement informé du fait qu'il supportera le coût d'éventuels travaux, a malgré tout refusé le transfert. Il venait de faire refaire son branchement par un professionnel du gaz, et a refusé d'être soumis à une autre intervention de GRDF chez lui », raconte Olivier Granes, responsable de projet intégration en concession des ouvrages gaz pour l'Ile-de-France chez GRDF.
En attente de la visite de son logement
Hormis cette exception, les propriétaires sont donc aujourd'hui déchargés de l'entretien et de la réparation du bout parisien situé dans leur logement. Mais ils sont tributaires des visites diligentées par le gestionnaire. « L'AG de cette année doit être l'occasion pour le syndic de rappeler au propriétaire l'importance de laisser l'accès à son logement pour que le technicien puisse atteindre l'ouvrage. Et il doit impérativement en informer son locataire s'il est bailleur », insiste Olivier Granes. L'argument du gestionnaire est qu'il est tenu de s'assurer du bon fonctionnement de la canalisation à sa charge. L'occupant est averti de la visite par un courrier de GRDF envoyé 2 mois avant la visite et mentionnant le nom du prestataire mandaté.
Cependant, compte tenu du coût à la clé et du manque d'effectifs, le gestionnaire pourra-t-il tenir sa promesse avant le 1er août 2026 ? « C'est révélateur : alors que la loi parle de visite obligatoire, GRDF n'évoque qu'une possibilité sur son site destiné au grand public », s'inquiète l'avocat Benjamin Naudin. « La fréquence des visites est en moyenne d'une tous les 5 à 10 ans. Il est clair que GRDF va devoir accélérer le tempo. Pour l'heure, il gère les priorités, en ciblant par exemple les immeubles ayant des canalisations anciennes en plomb », estime, pour sa part, Ivan Fritel, expert thermicien conseiller à l'Association des responsables de copropriété (ARC). De son côté, GRDF assure, chiffres à l'appui, que les visites ont déjà démarré depuis février 2023, notamment à la suite d'appels de propriétaires bailleurs. « 57 000 visites ont déjà été effectuées, ce qui représente, pour le parc privé, 10 % des installations », précise Alexis Motte. « Le propriétaire ne peut s'y opposer : la présence du bout parisien dans le logement s'analyse comme une servitude d'utilité publique », rappelle Christophe Levrel, expert technique à l'ARC. « Il n'a d'ailleurs aucun intérêt à le faire, sachant que la visite n'a jamais pour objectif de remettre en cause le transfert de propriété », insiste Olivier Granes. L'hypothèse où un propriétaire, ou l'occupant du logement s'il s'agit d'un locataire,, refuserait a tout de même été prévue par la loi (art. L. 554-10 du code de l'environnement). Mais la sanction draconienne qui y est attachée – la coupure du gaz – ne s'applique qu'après un double refus et surtout, en cas de « danger grave et immédiat pour la sécurité des personnes et des biens ». Autant dire en toute dernière extrémité.
Des données utiles sur l'état des canalisations de gaz
Dans les copropriétés qui ont confié à un professionnel l'élaboration d'un projet de plan pluriannuel de travaux (déjà obligatoire pour celles de plus de 50 lots, et à compter du 1er janvier 2025 pour les moins de 50 lots), l'état des canalisations de gaz et de la structure de l'immeuble font partie des éléments à vérifier. « Les conclusions qui en sont tirées seront utiles pour le syndicat, même s'il n'est plus propriétaire des canalisations. Car, en présence d'anomalies, le syndic avertira GRDF », explique Benjamin Naudin, avocat. « Il m'est arrivé de signaler dans mon rapport au syndic une conduite oxydée risquant de ne pas être étanche au point de pénétration dans l'immeuble, ou une canalisation en plomb écrasée par le tassement d'un mur », témoigne Thierry Marchand, diagnostiqueur à Dinan. Le syndicat n'ayant pas à financer les travaux, aucun chiffrage ne sera réalisé par le professionnel qui audite l'immeuble.
Peu d'anomalies constatées sur place
GRDF, dont les professionnels mandatés doivent remettre un procès-verbal à l'issue de la visite destinée au transfert, se veut rassurant. « Nous n'avons pas de remontées de gros dysfonctionnements remettant en cause la sécurité. En revanche, c'est l'occasion, dans 1 à 2 % des cas, de détecter des micro-fuites à proximité du compteur, au niveau de l'organe de coupure individuel. La réparation se fait alors dans les 3 ou 4 heures qui suivent », détaille Olivier Granes. Il arrive aussi qu'un changement d'une portion de canalisation, déjà ancienne, correspondant au bout parisien, soit à envisager. « Elle peut avoir été malmenée à l'intérieur du logement et faire des coudes », illustre Ivan Fritel. « La visite pourra aussi mettre en lumière le raccordement de deux appartements à un même bout, ce qui est pourtant interdit, à la suite d'une opération de division lors d'une vente », poursuit Olivier Safar. Dans un tel cas de figure, il faut déplacer la colonne au niveau des parties communes, cette fois aux frais des copropriétaires concernés. En tout état de cause, la visite dépasse la seule inspection du bout parisien. Celle-ci s'étend aux canalisations depuis l'organe général de coupure au niveau de la rue, jusqu'aux systèmes de coupure individuels. L'examen visuel peut ainsi aboutir à ce que l'agent place des bouchons à l'extrémité d'un branchement abandonné qui n'aurait pas été obturé. De même, il est procédé, comme sur le bout parisien, à la recherche d'éventuelles fuites sur les conduites ou les organes de coupure individuels, à l'aide de détecteurs.
La visite est aussi l'occasion de vérifier que les conduites montantes sont accessibles et que les coffrages qui les contiennent ne sont pas encombrés. Ce qui peut arriver. Un prestataire mandaté a ainsi découvert, au niveau d'un palier, une sorte de placard aménagé avec des étagères sur lesquelles étaient entreposés une batterie de cuisine, des balais et des parapluies ! La responsabilité de l'occupant fautif, mais aussi du syndic chargé de veiller sur les parties communes, peut, il faut le savoir, être engagée en cas d'accident.
Le propriétaire demeure responsable de ses installations
Après le compteur, le propriétaire est responsable de l'entretien et de l'éventuel changement de son installation de gaz. Celle-ci comprend la tuyauterie fixe, les robinets, la ventilation, ainsi que les appareils (chauffe-eau, cuisinière, four, etc.) et leurs systèmes d'évacuation propres. Le propriétaire doit fournir un diagnostic sécurité gaz (inséré dans le dossier de diagnostic technique) s'il met son logement en vente ou en location, dès lors qu'il est équipé d'une installation âgée de plus de 15 ans. Comptez au minimum 250 € TTC pour ce diagnostic. Il est valable 3 ans en cas de vente, et 6 ans en cas de location. Le propriétaire en est dispensé s'il a réalisé des travaux et déjà obtenu un certificat de conformité gaz (valable 15 ans). L'évaluation doit être réalisée par un professionnel certifié du gaz. En cas d'anomalie majeure constatée, l'appareil peut être mis hors service. Le propriétaire dispose alors de 3 mois pour se mettre en conformité.
Des interventions de sécurité au cas par cas
Alors que nombre d'immeubles n'ont pas encore été visités, on peut légitimement s'interroger sur les risques en termes de sécurité pour les copropriétés et leurs occupants. GRDF intervient au cas par cas lorsqu'il y a un signalement, la sécurité faisant partie de sa mission de service public. « GRDF ne transige pas sur un tel enjeu. Il n'y a d'ailleurs plus de saisine du médiateur par les particuliers depuis que le transfert des colonnes a eu lieu », pointe Caroline Keller, cheffe du service information et communication du médiateur national de l'énergie. « Les diagnostiqueurs amenés à contrôler l'installation intérieure d'un logement étendent leur inspection aux parties communes. Il en va de leur devoir de sécurité », rassure de son côté Thierry Marchand, à la tête de l'entreprise CEDI2M Expertises, située à Dinan. « Le syndic est d'autant plus réactif pour alerter GRDF si une canalisation est en mauvais état que sa réparation n'est plus à la charge du syndicat ! » poursuit Olivier Safar. « Un syndic qui s'interroge sur une mise en conformité ou sur la vétusté d'une canalisation a toujours la possibilité, avec l'accord du syndicat, de demander à GRDF de faire un audit (c'est gratuit), en dehors même de toute visite. La seule différence, en termes de calendrier, c'est que l'équipe interviendra moins rapidement qu'en présence d'une micro-fuite, par exemple », complète Olivier Barnes. Le fait que le gestionnaire ait repris la main sur la totalité des canalisations avant compteur devrait donc faciliter les choses quant à leurs entretien et réparations. L'avenir le dira, cependant. Car les dangers du gaz sont loin d'être totalement écartés : conduites montantes vieillissantes ou canalisations enterrées en pied d'immeuble, déboîtées à la suite d'épisodes de sécheresse répétés constituent autant de risque de fuites sur le réseau public.
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